Dans un contexte politique toujours plus polarisé, les interactions symboliques entre élus prennent une importance nouvelle. Un échange sur notre boucle WhatsApp met en lumière une vidéo de l’INA montrant des députés refusant de serrer la main à Marion Marechal. La discussion soulève des questions sur la manière dont ces gestes influencent la perception publique et le fonctionnement de la démocratie, tout en explorant les postures diverses et parfois opposées face à la montée du Rassemblement National (RN). Cette réflexion collective, enrichie par les perspectives variées des participants, interroge la capacité de nos institutions à concilier fermeté idéologique et respect mutuel.
Serrer la main de membres de l’extrême droite ? Déjà un sujet en 1989.
L’installation de la tolérance envers le FN/RN et les réactions médiatiques
Selon Anne-Marie, la vidéo montre clairement à quel point la tolérance envers le FN/RN s’est installée. La presse s’est largement indignée contre Delogu pour son prétendu “manque de respect des institutions”, mais son geste semble pourtant honorable et compréhensible. Elle aurait préféré qu’il se montre indifférent, mais reconnaît que chacun a sa manière d’agir. Elle souligne également que les propos tenus par le jeune député RN ont été très méprisants et classistes, faisant référence aux quartiers nord de Marseille, sans susciter de réaction notable. Anne-Marie pense qu’il serait bénéfique que cette vidéo soit vue par le plus grand nombre.
La séquence du 18 juillet
Montage vidéo : députés n’ayant pas serré la main à Flavien Termet, ceci à tort ou à raison.
Voix-off : discours de José Gonzalez, doyen de l’Assemblée Nationale.
Source
La présence de Flavien Termet, benjamin de l’Assemblée lors des votes s’explique par une tradition républicaine symbolisant le renouveau et l’engagement des jeunes générations dans la démocratie. Le benjamin joue souvent un rôle protocolaire en présidant la séance jusqu’à l’élection du nouveau président de l’Assemblée. Cela met en lumière la diversité et l’importance de toutes les tranches d’âge dans la représentation nationale.
Serrer la main est un geste de courtoisie ?
Clémentine Autain, bien qu’elle ne soit plus chez LFI s’oppose avec force à des politiques et des idéologies tout en choisissant, dans certaines situations, d’adopter une attitude respectueuse. Cela soulève la question de l’équilibre entre la fermeté politique, la posture de nos élus et de notre représentation nationale.
La séquence Delogu/Termet
Anne-Marie souligne que le discours de victimisation ne devrait pas influencer la manière de traiter l’extrême droite. Elle pense que, quoi qu’on fasse, ceux qui veulent se victimiser trouveront toujours un moyen de le faire.
Mylène est d’accord que c’est un élément à prendre en compte, mais elle préfère que chacun choisisse son attitude en conscience, selon le contexte.
Anne-Marie reste partagée sur ce point. Elle pense que les partis devraient indiquer une ligne de conduite à leurs élus, tout en permettant à chacun de faire son choix en conscience et de communiquer publiquement pour expliquer ce choix.
Le choix de ne pas serrer la main de manière ostensible me semble avoir une signification importante, mais celle-ci a ses limites. On ne peut ignorer l’existence du RN en faisant comme s’il n’existait pas ; ignorer un ennemi ne contribue pas à le combattre. Faut-il pour autant serrer la main, un geste qui symbolise une forme de concorde ? Clémentine Autain opte pour le respect des formes (de la même manière que, dans le tractage relationnel, on nous encourage à rester toujours polis, respectueux et souriants). C’est un choix compréhensible également. La photo est surprenante car elle sourit, mais son geste est interprétable : je te serre la main non seulement parce que tu es un élu du peuple mais (peut-être) aussi parce que tu es un être humain comme moi. Pourtant, je combattrai ton parti et tes idées… Personnellement, dans ce contexte, je crois que j’aurais du mal à serrer la main… mais peut-être est-ce une posture plus juste ?
Selon Julie, le fait que certains députés insoumis aient refusé de serrer la main des députés RN peut être compris par leurs électeurs (et encore). Cependant, du côté des électeurs RN, qui sont souvent d’anciens PS ou PCF, notamment à Marseille (c’est une impression personnelle sans statistiques précises), cela ne passe pas du tout. Ils se sentent insultés. Le problème est qu’il va falloir aller les chercher si la gauche souhaite un jour gouverner.
Manu indique qu’il s’agit donc d’une question de posture. Celle de S. Delogu, dans un mode mascu-viriliste, flatte probablement un certain antifascisme dont il n’est pas évident qu’il soit la seule réponse au RN, ni la plus efficace.
Stefen précise : ce que je crois, c’est que dans ce genre de contexte, ce jeune député, malgré sa posture et son personnage politique, reste avant tout un être humain. Ce geste l’a touché d’une manière ou d’une autre. Il y a la politique et le contexte politique, mais il y a aussi une interaction entre deux êtres humains devant nos yeux. C’est cela que je vois, et c’est cela qui me touche.
Au Royaume-Uni
Le Premier ministre sortant du Royaume-Uni est Rishi Sunak, qui a démissionné de son poste le 5 juillet 2024 après que son parti, les Conservateurs, a perdu les élections générales. Le nouveau Premier ministre est Keir Starmer, leader du Parti travailliste, qui a remporté une victoire écrasante lors des élections générales.
Comment réagir ?
Selon Mylène, la réflexion à venir est complexe. En tant qu’assesseuse, elle a serré la main du candidat RN malgré une aversion instinctive. Elle se trouvait à la fois dans un cadre républicain, où des adversaires peuvent se serrer la main au lieu de se frapper ou s’insulter, ce qui est la force des institutions, et dans un échange humain où elle ne voulait pas donner à cette personne le plaisir de se victimiser. Elle l’a fixé dans les yeux avec la plus parfaite indifférence. Elle a déjà ressenti que certains se nourrissent de notre haine, se souvenant de la jubilation évidente de Ravier, sifflé et insulté par la foule lors de l’élection de l’actuelle municipalité. Elle a préféré lui tourner le dos, en frissonnant de dégoût. “Vous n’aurez pas ma haine.”
Selon Antoine, il imagine que le fait que ce jeune député soit le benjamin de l’Assemblée a influencé Clémentine. Qui n’a pas été benjamin à un moment donné ? 😊 Il ne pense pas qu’il soit possible d’avoir une position systématique. Il y a certainement des contextes où il faut adopter une approche à la Delogu. Maintenant, sur le fond, cela dépend de l’audience : si l’on s’adresse aux convaincus ou si l’on cherche à influencer les électeurs et sympathisants de l’extrême droite, qui n’ont pas toujours représenté un tiers de l’électorat… Dans ce sens, il y a aussi la bataille des signes : le geste de Clémentine Autain est d’autant plus apprécié qu’il y a eu des refus de serrer la main, jusqu’à l’expression de Delogu. Si tout le monde serre la main du RN, ce n’est peut-être pas bon ? 😊
Respect de l’humanité dans les interactions sociales : une perspective marseillaise
Selon Géraldine, il est essentiel, surtout dans les quartiers nord de Marseille, de distinguer entre l’humain et son rôle social. Contrairement à l’image de “violents sauvages” véhiculée par les médias, il y a un grand soin apporté à l’humanité de la personne et au respect de sa dignité.
Le respect de la personne en tant qu’être humain n’est pas négociable. On doit pouvoir dire “bonjour”, serrer la main et discuter avec quiconque si on le considère dans son humanité. Cela ne signifie pas qu’on est d’accord avec ses choix ni qu’on le laissera nuire au bien commun et à autrui.
En tant qu’être humain, je te respecte et c’est tout. Sébastien Delogu nuit aux valeurs de la République qu’il veut pourtant défendre en se comportant de cette manière.
L’image
Selon Nicolas : Tout cela ne fait que nourrir le RN vu que la vidéo de Delogu va tourner en boucle.
Cyril donne un exemple de Tweet qui a généré presque 1 millions de vues :
Selon Mylène, sur Instagram, les “followers” de Sébastien Delogu sont majoritairement enthousiastes. Je parle bien de fans, car son compte et ses abonnés ressemblent à ceux de n’importe quel influenceur. Cela pose des questions, mais il est indéniable que cette popularité lui a valu de nombreux votes. Que valent ces votes si la mode change ? Cela contribuera-t-il à ramener des jeunes et des habitants des quartiers vers la politique ? C’est intéressant à observer en tout cas.
Selon Noémie, son compte Tiktok est suivi par beaucoup de personnes et son canal Instagram intégre plus de 140. Il partage quotidiennement ce qu’il fait et ce qu’il pense. Cela fait de lui peut-être un influenceur, mais c’est très efficace non seulement pour susciter l’intérêt pour les institutions, mais aussi pour accroître sa popularité.
Sébastien Delogu, candidat à la mairie de Marseille ?
Henri mentionne le papier de ce jour dans la Provence “Sébastien Delogu : “LFI doit construire un programme pour Marseille” : le député LFI du Nord de Marseille, Delogu, partage ses perspectives sur plusieurs sujets clés concernant la politique locale et nationale. Il insiste sur la nécessité pour LFI de construire un programme spécifique pour Marseille, qui répond aux besoins et aspirations des habitants de la ville. Ce programme devrait refléter les valeurs de justice sociale et d’égalité portées par LFI, tout en proposant des solutions concrètes aux défis locaux, comme la sécurité, l’emploi, et l’urbanisme. Delogu se projetterait ainsi déjà sur les municipales de 2026 car critique ouvertement la gestion actuelle du maire de Marseille, Benoît Payan, et exprime son ambition de voir LFI jouer un rôle central dans la future administration municipale.
Différence entre critique et mépris
Alice mentionne un article de Causeur, écrit par Aurélien Marq “Je ne vous serre pas la main, Monsieur!”
Le correctif mentionne qu’après avoir serré la main de Flavien Termet, Clémentine Autain a refusé de serrer celle de Hanane Mansouri. Cette observation est utilisée pour accuser Autain de discrimination raciale sous couvert de féminisme. Ce type d’argumentation semble fallacieux car il tire des conclusions hâtives et simplistes à partir d’un seul acte. De plus, il ne tient pas compte des motivations possibles derrière ces actions et préfère attaquer l’ensemble d’un mouvement politique sur la base d’un incident isolé.
Je ne vous serre pas la main, Monsieur !
Selon Alice, il y a une différence très fine entre critique et mépris. Elle ne dit pas qu’il faut nécessairement serrer la main des députés du RN, mais que l’indifférence glaciale est acceptable, tandis que le mépris et l’intimidation ne le sont pas. C’est ainsi que l’on renforce la posture victimaire du RN, qui dépeint la gauche comme le camp des élites suffisantes des grandes villes.
Alice : Par ailleurs, un·e député·e représente physiquement plusieurs milliers de Français·es, qui peuvent par ricochet se sentir elleux-mêmes méprisé·es à leur tour. Nous combattons avant tout des idées, des idéologies, des actes et des comportements, non des personnes.
Anne-Marie : Oui, mais à ce compte-là, toute critique revient à critiquer ces électeurs. Je trouve que c’est une pente savonneuse… Lorsqu’on s’adresse à des gens, on doit leur parler sans mépris. Mais face à leur député, un autre élu doit pouvoir affirmer son opposition.
Clément : “Donc, on en est à partager du Causeur… on peut se ressaisir deux secondes ?”
Alice : “Il est toujours bon d’aller voir comment nos ennemis se victimisent et tordent la réalité, je pense.”
Dans les contextes de notre vie quotidienne
Selon Anne-Marie, dans les contextes de notre vie quotidienne, il est important de moduler notre comportement selon les circonstances. Elle serrerait la main d’un collègue de travail votant RN tant qu’un rapport humain est établi, permettant ou non la discussion. Cependant, elle pourrait refuser de le faire avec quelqu’un qui aurait tenu des propos racistes ou aurait eu un comportement inacceptable à ses yeux.
Sabine : Je suis partagée entre l’attitude distanciée des élus républicains, qui oblige à un comportement social adapté, et l’interprétation émotionnelle qui peut en découler. J’ai vécu une situation similaire à mon humble niveau lorsque Éric Ciotti faisait la tournée des services sociaux du département. J’étais devant une photocopieuse dans un couloir, et il est arrivé en serrant les mains de ceux qu’il croisait. Je ne me suis pas retournée et j’ai continué à travailler en l’ignorant… Si j’avais été cheffe de service, je n’aurais pas pu y échapper 😉
Anne-Marie : Dans les contextes de notre vie quotidienne, il faut moduler selon les circonstances. Personnellement, je serrerais la main d’un collègue de travail votant RN tant que j’ai avec lui un rapport humain, permettant ou non la discussion. Cependant, je pourrais refuser de le faire avec quelqu’un qui aurait tenu des propos racistes ou aurait eu un comportement inacceptable à mes yeux.
Puis nous évoquons des textes et références culturelles.
Texte de Primo Levi
Si c’est un homme, ed 1987, Appendice écrit en 1976
Dans votre livre, on ne trouve pas trace de haine à l’égard des Allemands ni même de rancoeur ou de désir de vengeance. Leur avez-vous pardonné ?
La haine est assez étrangère à mon tempérament. Elle me paraît un sentiment bestial et grossier, et, dans la mesure du possible, je préfère que mes pensées et mes actes soient inspirés par la raison; c est pourquoi je n’ai jamais, pour ma part, cultivé la haine comme désir primaire de revanche, de souffrance infligée à un ennemi véritable ou supposé, de vengeance particulière. Je dois ajouter, à en juger par ce que je vois, que la haine est personnelle, dirigée contre une personne, un visage; or, comme on peut voir dans les pages mêmes de ce livre, nos persécuteurs n avaient pas de nom, ils n’avaient pas de visage, ils étaient lointains, invisibles, inaccessibles. Prudemment, le système nazi faisait en sorte que les contacts directs entre les esclaves et les maîtres fussent réduits au minimum. Vous aurez sans doute remarqué que le livre ne mentionne qu’une seule rencontre de l’auteur – protagoniste avec un SS — p. 205 -,et ce n’est pas un hasard si elle a lieu dans les tout derniers jours du Lager, alors que celui-ci est en voie de désagrégation et que le système concentrationnaire ne fonctionne plus.
D’ailleurs, à l’époque où ce livre a été écrit, c’est-à-dire en 1946, le nazisme et le fascisme semblaient véritablement ne plus avoir de visage; on aurait dit – et cela paraissait juste et mérité – qu’ils étaient retournés au néant, qu’ils s’étaient évanouis comme un songe monstrueux, comme les fantômes qui disparaissent au chant du coq. Comment aurais-je pu éprouver de la rancœur envers une armée de fantômes, et vouloir me venger d’eux ?
Dès les années qui suivirent, l’Europe et l’Italie s’apercevaient que ce n’étaient là qu’illusion et naïveté : le fascisme était loin d’être mort, il n’était que caché, enkysté; il était en train de faire sa mue pour réapparaître ensuite sous de nouveaux dehors, un peu moins reconnaissable, un peu plus respectable, mieux adapté à ce monde nouveau, né de la catastrophe de la Seconde Guerre mondiale que le fascisme avait lui-même provoquée. Je dois avouer que face à certains visages, à certains vieux mensonges, aux manœuvres de certains individus en mal de respectabilité, à certaines indulgences et connivences, la tentation de la haine se fait sentir en moi, et même violemment. Mais je ne suis pas un fasciste, je crois dans la raison et dans la discussion comme instruments suprêmes de progrès, et le désir de justice l’emporte en moi sur la haine. C’est bien pourquoi lorsque j’ai écrit ce livre, j’ai délibérément recouru au langage sobre et posé du témoin plutôt qu’au pathétique de la victime ou à la véhémence du vengeur : je pensais que mes paroles seraient d’autant plus crédibles qu’elles apparaîtraient plus objectives et dépassionnées; c’est dans ces conditions seulement qu’un témoin appelé à déposer en justice remplit sa mission, qui est de préparer le terrain aux juges. Et les juges, c’est vous.
Toutefois, je ne voudrais pas qu’on prenne cette absence de jugement explicite de ma part pour un pardon indiscriminé. Non, je n’ai pardonné à aucun des coupables, et jamais, ni maintenant ni dans l’avenir, je ne leur pardonnerai, à moins qu’il ne s’agisse de quelqu’un qui ait prouvé – faits à l’appui, et pas avec des mots, ou trop tard – qu’il est aujourd’hui conscient des fautes et des erreurs du fascisme, chez nous et à l’étranger, et qu’il est résolu à les condamner et à les extirper de sa propre conscience et de celle des autres. Dans ce cas-là alors, oui, bien que non chrétien, je suis prêt à pardonner, à suivre le précepte juif et chrétien qui engage à pardonner à son ennemi; mais un ennemi qui se repent n’est plus un ennemi.
Selon Anne-Marie, cet extrait de Primo Lévi est très éclairant pour notre discussion : lorsqu’il évoque son choix d’opter pour un langage neutre et dépassionné, similaire à celui utilisé lors d’un témoignage au tribunal. Dans le cadre institutionnel, une posture distanciée et un peu “froide”, qui maîtrise les pulsions de haine pour les transformer en stratégies réfléchies de lutte, serait plus productive et prêterait moins le flanc aux commentaires déformants.
Puis Nicolas conclut.
Comme le dit Edgar Marin, l’improbable est toujours possible. Restons optimistes jusqu’à la semaine prochaine.
A consulter
Poignées de mains : un geste pour l’histoire ?
Parmi les poignées de mains historiques, quelles étaient les plus sincères, les plus complexes ou les plus hypocrites ?
Contextualiser des poignées de main célèbres et les analyser.
Voir https://enseigner.tv5monde.com/fiches-pedagogiques-fle/poignees-de-mains-un-geste-pour-lhistoire
Les sens de la poignée de main en Grèce ancienne du VIIIe au Ve siècle avant J.-C.
https://www.persee.fr/doc/ktema_0221-5896_2018_num_43_1_1541
“Si c’est un homme” de Primo Levi est une œuvre puissante et emblématique.
Voir aussi ce dossier : http://clioweb.free.fr/dossiers/39-45/primolevi.htm
Publié en 1947, ce témoignage poignant relate les expériences de Levi dans les camps de concentration nazis. Se le procurer : https://www.librairiesindependantes.com/product/9782266022507/
La chanson de Louis Chedid “Anne, ma Soeur Anne“
La bête immonde (Paroles : Claude Lemesle / Musique: Michel Fugain)
Ou comment socialiser ou non des anti-sociaux notoires