Le collectif a eu l’opportunité d’interviewer Philippe le 2 septembre 2024, peu avant la sortie de son nouveau livre. À partir de ces deux heures d’échanges (entre dix membres de notre boucle WhatsApp et l’écrivain-reporter marseillais), nous avons réalisé ce montage d’une quinzaine de minutes. Nous le publions ici, sur la plateforme audioblog d’Arte et notre page Facebook, récemment créée.
Un récit sans concession
Dans “Cramés“, Philippe Pujol explore la réalité brutale et complexe des jeunes des quartiers populaires de Marseille, surnommés “les enfants du Monstre”. Ce livre plonge dans le quotidien de ces jeunes qui, dès leur plus jeune âge, sont confrontés à la violence, la pauvreté, et le crime. À travers des portraits intenses et émouvants, Pujol dévoile les dynamiques sociales et criminelles qui piègent ces enfants dans des trajectoires souvent tragiques.
Les protagonistes sont des adolescents qui ont grandi dans un environnement où l’école et les institutions sociales échouent à leur offrir un avenir. Leurs histoires sont marquées par des violences précoces, tant physiques que psychologiques, qui les mènent inexorablement vers la délinquance et le banditisme. Le récit met en lumière comment ces jeunes, faute de perspectives, finissent par intégrer des réseaux criminels, rêvant d’une ascension rapide dans l’échelle sociale par le biais du crime.
Pujol décrit une société segmentée, où chaque échelon de la délinquance est lié à un niveau supérieur, créant une hiérarchie implacable où les plus vulnérables sont exploités. Malgré leurs rêves et leurs tentatives d’échapper à ce destin, ces jeunes sont souvent rattrapés par la dure réalité : dettes, violences, et pour beaucoup, la prison ou la mort.
“Cramés” est un récit sans concession, qui met en évidence l’échec des politiques sociales et éducatives dans ces quartiers, ainsi que l’absence de véritables perspectives pour ces jeunes. Pujol appelle à une prise de conscience collective et à une action plus humaniste pour éviter que d’autres générations ne soient sacrifiées sur l’autel de l’indifférence sociale et de la répression aveugle.
Le livre sera en librairie à partir du 5 septembre.
Analyse des chapitres du livre
Le récit de “Cramés” est construit autour des vies entremêlées de plusieurs jeunes des quartiers nord de Marseille. Le livre est divisé en 15 chapitres qui suivent les parcours individuels de ces personnages, tout en révélant les dynamiques sociales et criminelles qui les entourent. La narration adopte un ton réaliste et sans concession, décrivant avec une grande précision le quotidien de ces jeunes, marqué par la violence, la pauvreté, et l’absence de perspectives.
Le style de Philippe Pujol est direct et immersif, utilisant un langage qui reflète la réalité brutale des quartiers décrits. Le ton est souvent sombre, mais empreint d’une certaine empathie pour les personnages, malgré les actes répréhensibles qu’ils peuvent commettre. Les principaux thèmes sont :
La délinquance et le banditisme : un des thèmes centraux du livre est l’implication des jeunes dans des activités criminelles (notamment traffic de drogue et prostitution), souvent par nécessité plutôt que par choix. Le livre explore comment ces jeunes sont entraînés dans des réseaux de délinquance et comment ces activités façonnent leurs vies.
L’absence de perspectives : le récit met en lumière le manque d’opportunités pour ces jeunes, qui sont souvent piégés dans leur situation socio-économique. L’école et les institutions sociales sont dépeintes comme incapables de leur offrir une échappatoire.
La famille et les liens sociaux : les relations familiales jouent un rôle crucial dans le récit. Les personnages comme Bouchra, la mère d’Amal, sont des figures centrales qui tentent de protéger leurs enfants, mais sont souvent dépassées par les événements.
La violence : omniprésente dans le livre, non seulement physique, mais aussi psychologique. Elle est décrite comme un élément inévitable du quotidien de ces jeunes.
Extraits
“Cramés” offre une exploration approfondie des enjeux liés à la marginalisation, à la violence, et aux dynamiques criminelles dans les quartiers populaires de Marseille. La profondeur des réflexions et la puissance des descriptions de la condition humaine dans ces environnements difficiles justifient la publication de nombreux extraits de cet ouvrage. Ces passages délivrent une analyse précise des forces criminelles en jeu à Marseille, soulignant la complexité des facteurs sociaux, économiques et psychologiques qui alimentent la violence, tout en rejetant l’idée d’une “cartellisation” semblable à celle des villes mexicaines. L’auteur plaide pour une approche sociale, en complément des mesures sécuritaires, pour s’attaquer aux vulnérabilités à l’origine de cette criminalité.
En 2023, Marseille a connu près de cinquante homicides liés à la guerre de concurrence qui s’est intensifiée cette année-là, atteignant un taux de 5,8 homicides pour 100 000 habitants. On entend souvent dire que la cartellisation des trafics est en marche. Cependant, la comparaison avec des villes comme Tijuana au Mexique, qui a enregistré 2 640 meurtres en 2019 avec un taux de 138,26 pour 100 000 habitants, montre que la situation marseillaise est bien différente.
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Imaginer que Marseille pourrait voir naître des cartels, c’est un peu comme penser que des épiceries de nuit pourraient concurrencer Amazon. En réalité, c’est une guerre entre supérettes qui secoue la ville, une guerre futile pour des enjeux mineurs.
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Cette théorie satisfait tout le monde : les médias y trouvent une histoire plus simple à raconter, plus cinématographique et romantique ; les institutions policières et judiciaires y voient un argument pour réclamer davantage de moyens ; les politiciens de gauche prétendent qu’aucune action sociale n’est possible tant que les mafias sont présentes, tandis que la droite républicaine soutient qu’aucun développement économique n’est envisageable dans ces conditions. Les droites radicales, quant à elles, exploitent cette théorie pour nourrir des idées racistes, affirmant que les immigrants et leurs enfants, regroupés dans ces zones, se sont organisés en mafias, un séparatisme délinquant qu’il faudrait d’abord détruire.
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Les groupes criminels comme Yoda et la DZ Mafia se développent précisément dans ces fissures, nourris par les inégalités, les injustices, les violences sociales, le mépris de classe, le racisme, les stigmatisations, la dissolution des services publics et l’abandon de la culture populaire. Le recours à la répression sécuritaire n’empêchera jamais la résurgence des trafics. Ce n’est pas le narcobanditisme qui a la mainmise sur ces quartiers, mais bien l’exploitation des faiblesses de ceux qui y habitent.
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Il y a au moins deux mille esclaves du trafic de drogue à Marseille. Certains y sont pris pour une longue période, d’autres pour quelques semaines, juste le temps de rembourser une dette. Mon chiffre n’a rien de scientifique. C’est une estimation que j’ai faite en multipliant le nombre de jeunes captifs dans les réseaux de stupéfiants que j’ai observés par le nombre moyen des points de vente relevés par la police à travers la ville. Deux mille jeunes séquestrés, affamés, brûlés, battus, drogués… À Marseille. C’est la même chose dans toute la France.
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En parallèle, la prostitution concerne des centaines de filles dans toute la ville, de plus en plus de mineures, en plus des mères qui le font pour élever leurs enfants. Une prostitution spontanée, pas vraiment organisée, opportuniste. Des proxénètes qui résument la situation par : « Nous, on n’a rien pour faire de l’argent, mais toi, tu as toujours ton corps. » La drogue et le sexe : deux valeurs sûres pour le banditisme.
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Mais vous aurez beau ramasser des milliers de jeunes au pied de toutes les cités de France, former des unités spéciales pour démanteler les réseaux de stupéfiants, communiquer des kilomètres de statistiques sur les saisies de drogue, d’armes, d’avoirs criminels, déclarer encore et encore la guerre aux trafics en tous genres, vous n’arriverez à rien si tout cela ne s’accompagne pas d’un travail immense sur les populations vulnérables.
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Trois radicalisations s’installent : la radicalisation politique avec son vote extrême en route vers le fascisme, la radicalisation religieuse et sa doctrine mortifère, et la radicalisation délinquante, la plus puissante car la plus pragmatique. Vous aurez beau combattre, dénoncer ou tenter de normaliser chacune de ces trois radicalisations, vous n’aurez jamais aucun répit tant que des gens sont plongés dans le désespoir.
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La précarité économique est devenue précarité sociale, et, génération après génération, cette précarité s’est parfois transformée en précarité psychique. L’urgence absolue est au rétablissement d’une solide politique de santé mentale. Les personnes psychologiquement vulnérables sont les premières proies du banditisme. Les malfaiteurs en feront des victimes ou des meurtriers. De l’esclave à l’assassin.
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L’urgence absolue est au rétablissement d’une solide politique de santé mentale. Les personnes psychologiquement vulnérables sont les premières proies du banditisme. Les malfaiteurs en feront des victimes ou des meurtriers. De l’esclave à l’assassin.
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Comment ne pas mesurer aussi l’état de délabrement de l’Aide sociale ? Les moyens devraient être colossaux : des éducateurs formés et convenablement payés, d’abord. Ce sont eux, aujourd’hui, qui, malgré la dégradation de leurs conditions de travail, ont empêché une dérive « à la mexicaine ». Les éducateurs en France protègent bien plus de jeunes de la criminalité qu’ils n’ont d’échecs dans leur réinsertion…
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Il en va de même avec les consommateurs de drogue. « Pas de consommateurs, pas de dealers », entend-on sur les plateaux télé, comme une évidence. Pas si simple.
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La vulnérabilité est la clé. Moins il y en aura, moins les trafiquants de drogue trouveront leur main-d’œuvre et moins il y aura de consommation. Ensuite, il sera peut-être temps d’instaurer une légalisation contrôlée de certaines drogues. En attendant, commençons par prendre soin des faibles, des jeunes, avant que certains ne deviennent des bourreaux et d’autres leurs subordonnés.
Principaux protagonistes
Voici un aperçu des autres principaux protagonistes du livre “Cramés“ de Philippe Pujol :
Amal
Amal est un jeune homme d’environ 18 ans. C’est un jeune homme fragile, traumatisé par la mort de son père, tué sous ses yeux. Il est le personnage le plus développé et central, son parcours constituant le fil conducteur du récit. Son histoire incarne la tragédie des jeunes marginalisés de Marseille. Amal est rapidement impliqué dans la petite délinquance et peine à trouver sa place dans un environnement de violence et de précarité. Malgré des tentatives pour changer, comme lorsqu’il refait son CV avec l’aide de l’auteur, il finit par sombrer de nouveau dans le trafic de drogue et est finalement emprisonné. Amal incarne le poids des traumatismes et l’absence de véritables perspectives d’avenir. Amal est étroitement lié à sa mère, Bouchra, qui joue un rôle central dans sa vie, tentant de l’aider malgré ses propres limitations.
Samir
Samir est un jeune homme de 20 ans. Masculin, il est impliqué dans diverses activités délinquantes, bien qu’il aspire à une vie différente. Il est présenté comme instable, tiraillé entre le désir de s’échapper du milieu criminel et l’attrait que celui-ci exerce sur lui. Il commence le récit en aspirant à une vie meilleure, mais sans savoir comment y parvenir. Il représente la difficulté de quitter la vie de délinquant une fois qu’on y est entré.
Jessie
Jessie est une jeune femme d’environ 17 ans. Elle est féminine, observatrice, et subit la violence de son environnement plutôt qu’elle ne la provoque. Elle est un personnage important du livre, représentant la fragilité des jeunes femmes dans les quartiers difficiles. Elle tente de se protéger des influences néfastes de son environnement tout en essayant de maintenir une certaine innocence. Elle reste affectée par les épreuves qu’elle traverse, mais elle parvient à éviter certains des pièges qui ont englouti ses amis. Son avenir reste cependant incertain.
Bouchra
Bouchra est la mère d’Amal, un des “cramés” du livre. Elle incarne la lutte quotidienne d’une mère célibataire dans un environnement hostile, où la pauvreté, la violence, et le manque de perspectives rendent l’éducation de ses enfants extrêmement difficile. Elle est connectée à la réalité sociale de son quartier par les autres mères et femmes qu’elle côtoie, mais elle est aussi isolée dans sa lutte quotidienne. Malgré ses efforts, elle ne parvient pas à empêcher Amal de s’enfoncer dans la spirale criminelle, illustrant ainsi la difficulté, voire l’impossibilité, de protéger ses enfants dans un tel contexte.
Cassandra
Cassandra est une jeune femme d’environ 19 ans, victime de l’exploitation par les “lover boys”. Son rôle dans le livre est significatif car elle incarne les jeunes femmes des quartiers populaires prises dans des cycles d’exploitation et de violence. Cassandra est présentée comme une jeune femme pleine de rêves, mais rapidement confrontée à la dure réalité de son environnement. Elle tombe sous l’influence de personnes qui exploitent sa vulnérabilité, se retrouvant prise dans des situations dangereuses. Elle est profondément marquée par les abus qu’elle a subis, et son avenir est ambigu, laissant entrevoir peu d’espoir de rédemption.
Leslie
Leslie est une jeune femme d’environ 18 ans. Elle est plus cynique et méfiante que Jessie, ce qui lui permet de mieux naviguer dans l’environnement hostile des quartiers nord. Son rôle dans le livre est important, car elle montre une facette plus résiliente de la jeunesse marseillaise. Elle est méfiante et consciente des pièges qui l’entourent et parvient à maintenir un certain contrôle sur sa vie malgré les défis.
Mareko
Mareko est un jeune homme d’environ 20 ans, profondément impliqué dans les réseaux criminels de Marseille. Il est l’un des chefs redoutés dans ces réseaux, et son rôle dans le livre est de montrer l’évolution d’un jeune devenu puissant grâce à la violence. C’est un jeune homme endurci par la violence, devenu un chef redouté de La Busserine. Sa brutalité en fait un personnage central du monde de la criminalité. Mareko est introduit comme un personnage déjà endurci par la violence, ayant gravi les échelons du crime à travers sa brutalité et son absence de scrupules. Il est craint et respecté dans le milieu, mais sa position est précaire. Il reste piégé dans le cycle de violence qu’il a contribué à renforcer. Son avenir est incertain, marqué par la menace constante de la mort ou de l’emprisonnement.
Problématiques évoquées
A travers les protagonistes de “Cramés“, Philippe évoque plusieurs problématiques, notamment :
- Amal : la difficulté pour les jeunes issus de quartiers marginalisés de s’échapper de la délinquance et de trouver une voie de réinsertion. Amal incarne le poids des traumatismes et l’absence de véritables perspectives d’avenir.
- Samir : les obstacles rencontrés par les jeunes des quartiers populaires pour échapper à la criminalité et la précarité, même lorsqu’ils souhaitent changer de vie.
- Jessie : la vulnérabilité des jeunes femmes dans les quartiers populaires et leur lutte pour se protéger dans un environnement dangereux.
- Bouchra : le rôle des parents, souvent impuissants, dans les quartiers difficiles de Marseille.
- Cassandra : l’exploitation des jeunes femmes dans les quartiers défavorisés, où elles sont souvent piégées dans des relations abusives et des cycles de violence.
- Leslie : la résilience des jeunes dans des environnements hostiles et la manière dont certains parviennent à survivre en développant des mécanismes de défense psychologiques.
- Mareko : l’ascension sociale par la criminalité dans les quartiers défavorisés et les conséquences inévitables de cette vie de violence.
Des “monstres” aux “cramés“
Avant d’atteindre son apogée avec “Cramés“, Philippe Pujol avait déjà jeté un regard acéré sur Marseille avec ses deux premiers livres.
Dans “La Fabrique du Monstre“, Pujol explore les quartiers nord de Marseille, dépeignant un univers où la misère sociale et la criminalité sont omniprésentes. Il y dévoile les mécanismes qui ont conduit à la marginalisation de ces quartiers, tout en donnant une voix à ceux qui y vivent. Avec sa plume incisive, Pujol ne se contente pas de raconter la pauvreté et la violence, il expose une véritable machine à fabriquer des monstres, une machine huilée par des années de clientélisme, d’indifférence, et de magouilles. Tout cela sous la houlette du “gaudinisme“, ce système municipal dirigé par Jean-Claude Gaudin, accusé d’avoir laissé les quartiers populaires mourir à petit feu pendant que ses alliés s’enrichissaient.
“La Chute du Monstre“ poursuit cette plongée, exposant les conséquences de cette marginalisation sur la ville entière. Pujol y détaille comment les scandales, les crises sociales, et l’absence totale de vision ont mené à la chute du régime Gaudin. Ce récit prend une dimension tragique lorsque, en pleine publication du livre, le 5 novembre 2018, la rue d’Aubagne s’effondre. Deux immeubles délabrés, pourris par des années de négligence, s’écroulent en plein centre de Marseille, à Noailles, tuant huit personnes. Ce drame a révélé au grand jour ce que Pujol dénonçait depuis des années : une ville laissée à l’abandon, où la vie des pauvres est sacrifiée.
L’effondrement de la rue d’Aubagne a cristallisé la colère des Marseillais. Ce n’étaient plus seulement des mots dans un livre, c’étaient des morts, des vies broyées par l’indifférence. Les manifestations se sont multipliées, les citoyens se sont rassemblés, et la pression médiatique a fini par faire vaciller le pouvoir en place. Les municipales de 2020 ont marqué la fin de 25 ans de règne du gaudinisme. Une nouvelle majorité est arrivée avec des promesses de changement, de rupture avec le passé.
Mais malgré les grandes paroles et les promesses, Marseille reste Marseille. Les défis sont toujours là, les problèmes s’accumulent comme les gravats de la rue d’Aubagne. “Cramés“ arrive dans ce contexte, non pour raconter une belle histoire, mais pour poser une question simple : qu’est-ce qui a vraiment changé ? Pujol explore les réalités sociales de la ville, cette même ville qui continue de broyer ses enfants, et il interroge les soi-disant changements qui ont suivi les drames passés.
“Cramés“ pourrait bien être la dernière claque avant les prochaines municipales, un rappel que les belles promesses ne suffisent pas. Les jeunes de Marseille, ceux qui vivent ces réalités, pourraient bien décider de faire entendre leur voix et de ne plus se contenter de la parole des anciens. Le livre est aussi là pour mettre la pression, pour dire aux élus et aux candidats : « Vous avez parlé, maintenant, qu’est-ce que vous allez faire ? ». Et cette fois, ce ne sont pas seulement les vieux qui voteront, mais une génération entière qui pourrait se lever, décidée à en finir avec le statu quo.
Autres travaux de Pujol
Livres
En dehors de sa trilogie marseillaise, Philippe Pujol s’est illustré par plusieurs autres ouvrages qui témoignent de son engagement et de son regard critique sur la société.
Dans “French Deconnection“, il nous plonge au cœur des trafics de drogue en France, explorant les rouages de ce système souterrain avec la rigueur d’un journaliste d’investigation.
“Mon cousin le fasciste“ aborde un sujet très différent, en explorant les racines du fascisme et les mécanismes qui poussent certains individus vers l’extrême droite, un récit personnel et sociologique à la fois.
Pujol a également tourné son regard vers l’avenir avec “Marseille 2040“, où il imagine un futur dystopique pour sa ville, anticipant les conséquences du déclin social et économique sur le système de santé.
Films
À travers ces films, Philippe continue de démontrer sa capacité à disséquer les réalités complexes de la société française, tout en mettant en lumière des sujets souvent tabous ou ignorés.
Péril sur la ville | La vie en Face
Un été dans le quotidien animé des habitants de la butte Bellevue, dans le quartier populaire de Saint-Mauront, au cœur de Marseille…
Voir en ligne : https://www.youtube.com/watch?v=kNKGmD9-1uI
Egalement :
Ressources complémentaires
Pour ceux qui souhaitent approfondir les thématiques abordées dans “Cramés“ de Philippe Pujol, voici une sélection de ressources complémentaires qui enrichissent la compréhension des réalités marseillaises et des dynamiques sociales des quartiers populaires :
Anaïs Merad : “Marseille, des larmes au combat”
Ce documentaire, produit par FabLab Channel et diffusé par France Télévisions, explore les combats et les espoirs des habitants des quartiers populaires de Marseille. Il offre un éclairage poignant sur les luttes sociales et personnelles des résidents, en résonance directe avec les récits décrits dans “Cramés”. Pour en savoir plus, vous pouvez consulter le site Roche-Raphaël.
Régis Sauder : “Nous, Princesse de Clèves” et “En nous”
Réalisés par le Marseillais Régis Sauder, ces deux documentaires offrent une perspective bouleversante sur les jeunes des quartiers Nord de Marseille. Dans “Nous, Princesse de Clèves”, des lycéens de St-Exupéry montent une pièce autour du roman “La Princesse de Clèves”, offrant un regard unique sur leur quotidien et leurs aspirations (inspiré par une célèbre déclaration de Nicolas Sarkozy). Dix ans plus tard, “En nous” revient sur ces mêmes jeunes devenus adultes, offrant une réflexion profonde sur leur parcours. “En nous” (2022) est disponible en VOD sur Arte (lien Youtube)
Ces ressources sont utiles pour ceux qui souhaitent aller au-delà du livre et mieux comprendre les enjeux sociaux, politiques et humains des quartiers marseillais.
Alain Damasio : San Francisco et le fentanyl
Pour approfondir la discussion sur les réalités sociales marseillaises abordées dans “Cramés”, nous vous proposons un extrait du chapitre “Love me Tenderloin” d’Alain Damasio (Vallée du silicium – Editions du Seuil).
Dans ce texte, Damasio décrit le quartier de Tenderloin à San Francisco, un lieu marqué par la misère extrême et les ravages du fentanyl, posant des questions essentielles sur l’acceptation de la cohabitation entre richesse extrême et pauvreté dévastatrice.
Extrait de “La Vallée du Silicium” par Alain Damasio, chapitre “Love me Tenderloin”
Dans la rue, le diable est dans les seringues et la poudre : le fameux fentanyl, inconnu en France, cinquante fois plus puissant que l’héroïne et infiniment moins cher. Deux milligrammes suffisent à déclencher l’overdose, on peut le couper avec ce qu’on veut, le mettre dans des cachets d’aspirine, l’ajouter à de la coke, à de l’héro.
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Au dernier décompte des ultrariches, la Silicon Valley toute proche abrite pourtant 78 milliardaires. Et alors ? Alors 1 % de la richesse d’un seul de ces milliardaires suffirait sans doute à soigner ces sans-abris, ces psychotiques laissés à eux-mêmes et ces drogués que les dealers fabriquent, au moins à les protéger des autres et d’eux-mêmes. Une infime miette de cette fortune incompréhensible suffirait à rémunérer une action sociale de long terme digne de ce nom, qui ne soit plus sous-traitée par la municipalité à des associations qui s’enrichissent. Une imposition décente des profits des transnationales permettrait de construire des foyers pour ces sans-abris et de salarier des psychiatres et des soignants pour s’en occuper.
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Mais je ne peux pas m’empêcher de me poser cette question qui me raye : comment ? Comment peut-on adosser, accoler presque, la richesse la plus obscène à la pauvreté la plus féroce ? Comment l’immeuble de Twitter peut-il rester debout à deux cents mètres de là et ne pas être pillé sous l’insurrection de militants ou s’écrouler sous une attaque de drogués zombies, à la World War Z, enfin réunis dans la conscience commune de leur état ?
Comment pouvons-nous accepter cette juxtaposition, moi le premier, en toute conscience ? Prendre le choc et passer son chemin ? Savoir et s’en foutre ? Non, même pas : ne pas s’en foutre mais n’agir en rien. Et pour les Élus en charge de la ville : comment prétendre gouverner une métropole et… sous-traiter à des relais corrompus ces enjeux ?
Des auteurs impliqués
Dans “Cramés“, l’écrivain ne se contente pas de décrire les réalités tragiques des jeunes des quartiers populaires de Marseille ; il s’implique activement dans leurs vies. Un exemple frappant est son aide à Amal pour refaire son CV. Ce geste, bien que modeste en apparence, témoigne de l’engagement au-delà de l’écriture. Il ne s’agit pas seulement d’observer et de rapporter, mais d’agir en tant que citoyen, essayant d’offrir des opportunités à ceux qu’il décrit dans ses livres.
Philippe justifie cette démarche par son désir de ne pas rester un simple témoin passif des tragédies qu’il décrit. En aidant Amal à refaire son CV, il cherche à offrir une chance, aussi infime soit-elle, de sortir du cycle de la délinquance et de la précarité. Cette intervention soulève cependant des questions éthiques : jusqu’où un auteur doit-il s’impliquer dans la vie de ses sujets ? Est-ce que ce type d’aide pourrait être perçu comme une tentative de gagner la confiance des sujets, voire comme une forme de manipulation pour obtenir des informations plus intimes ?
Pour mieux comprendre cette démarche, on peut la comparer à celle d’autres auteurs reconnus qui se sont également impliqués personnellement dans la vie de leurs sujets :
George Orwell
Dans la dèche à Paris et à Londres (1933)
George Orwell a volontairement vécu dans la pauvreté, travaillant comme plongeur dans des hôtels et restaurants à Paris et errant comme sans-abri à Londres, pour comprendre et documenter la vie des classes laborieuses. Son expérience personnelle a non seulement enrichi son écriture, mais a aussi montré une forme d’engagement envers ses sujets.
James Agee
Louons maintenant les grands hommes (1941)
Agee a vécu parmi des familles de fermiers pauvres dans le Sud des États-Unis pendant la Grande Dépression. Il a documenté leur vie avec une attention intense aux détails, allant au-delà du simple reportage pour s’intégrer à leur quotidien. Bien que son approche soit restée celle d’un observateur, son immersion dans leur réalité a été une forme d’implication personnelle profonde.
Truman Capote
De sang-froid (1966)
Capote a passé des années à enquêter sur les meurtres de la famille Clutter dans le Kansas. Il a développé une relation complexe avec les deux meurtriers, notamment Perry Smith, et certains critiques ont suggéré que cette relation a influencé son travail. Capote a également soutenu financièrement certains aspects de la défense des accusés, ce qui a soulevé des questions sur l’objectivité de son reportage.
Barbara Ehrenreich
Nickel and Dimed: On (Not) Getting By in America (2001)
Ehrenreich a pris divers emplois précaires à travers les États-Unis pour mieux comprendre la vie des travailleurs à bas salaire. Elle s’est immergée dans leur réalité, partageant leurs conditions de vie difficiles, et son expérience a été au cœur de son enquête sur l’impact des bas salaires sur la vie des Américains.
Aleksandr Solzhenitsyn
L’Archipel du Goulag (1973)
Solzhenitsyn a utilisé ses propres expériences dans les camps de travail soviétiques, ainsi que les témoignages de centaines de détenus, pour documenter les horreurs du système des goulags. Son engagement allait au-delà de l’écriture : il a risqué sa vie pour révéler ces réalités au monde, ce qui a conduit à son exil.
Ryszard Kapuściński
The Shadow of the Sun (2001)
Kapuściński, journaliste et auteur polonais, est connu pour son immersion totale dans les pays qu’il couvrait, souvent en temps de guerre ou de crise. Il s’impliquait personnellement dans la vie des gens qu’il décrivait, vivant souvent dans des conditions difficiles pour comprendre les réalités locales de manière intime.
Ces exemples montrent que l’implication personnelle de l’auteur peut aller de l’observation immersive à une participation active dans la vie des sujets, soulevant ainsi des questions sur les frontières entre reportage, écriture et engagement personnel.
A propos de cette interview participative
Le 2 septembre dernier, FPRES a organisé une interview participative avec Philippe Pujol. Cet événement a offert à une dizaine de participants l’opportunité unique de discuter directement avec l’auteur de son ouvrage, qui explore les réalités du banditisme et des jeunes marginalisés à Marseille.
En préparation de cette rencontre, les éditions Julliard avaient généreusement accepté de fournir aux participants une copie PDF du livre, protégée et chiffrée, afin qu’ils puissent préparer leurs questions. Les participants étaient invités à nous contacter via la boucle pour obtenir le mot de passe du fichier. Il leur avait également été demandé de s’engager à détruire cet exemplaire PDF une fois le travail terminé.
Cette initiative a été un moment riche en échanges et en réflexions sur les thématiques abordées dans l’ouvrage. Toutefois, les modalités d’interview seront améliorées pour nos prochains travaux. En effet, enregistrer un podcast, organiser une réunion et mener une action citoyenne demandent une organisation différente. Nous tirons des enseignements précieux à chaque étape de notre progression.
Remerciements
Un immense merci à Philippe pour sa disponibilité et son authenticité tout au long de cette interview.
Nos sincères remerciements aux Éditions Julliard pour leur soutien, et en particulier à Tiphanie pour son aide précieuse.
Enfin, un grand merci à Anna, Anne-Marie, Antoine, Claire, Céline, Mylaine, Noëlle, Sylvie, et Valentin.
Nous tenons à souligner le travail considérable accompli en amont de cette interview. Vos préparations ont largement contribué à la fluidité et à la richesse des échanges. Et bien sûr, merci pour toutes les contributions culinaires, il y avait de quoi manger pour une semaine ! Merci à Sylvie pour le compte-rendu de réunion.
https://usbeketrica.com/fr/article/philippe-pujol-un-monstre-un-seul-enfante-tous-les-radicalismes
Dans cette lettre que Philippe Pujol a adressée, via la revue Usbek et Rica, à son amie d’enfance devenue secrétaire d’état à la ville, en novembre 2023, on peut trouver en germe le cœur du propos développé dans Cramés.
Merci pour ton message, Anne-Marie ! Tu as tout à fait raison de souligner la pertinence de la lettre de Philippe Pujol dans le contexte de son livre Cramés.
D’ailleurs, voici un extrait de cette lettre qui illustre parfaitement son propos :
“Sabrina, la désillusion jette des gamins dans un système qui les exploite. Un système délinquant qui les endette jusqu’à les précipiter au bord du gouffre, qui rend tout possible, même le meurtre. Les vrais dealers, ceux d’en haut, regardent s’entretuer des gosses qui ne deviendront jamais de possibles concurrents. Un système cynique qui se renforce lorsqu’on lutte contre lui. Les seuls « dealers » que l’on attrape sont les petits trafiquants, et ils sont mis là pour cela. Tu sais ce que je vais te dire : à mon sens, la police n’est pas la solution ; elle est nécessaire mais impuissante. La réponse se joue dans la défense précoce et incessante des plus faibles.
Madame la secrétaire d’État chargée de la Ville, la violence sociale est un flingue chargé de délinquance ; sans l’arme, les balles ne sont plus rien.”
Cet extrait résume bien l’essence du message de Pujol : la lutte contre la criminalité ne peut se limiter à une approche répressive. Il nous rappelle que la véritable solution réside dans une défense précoce des plus vulnérables, avant qu’ils ne soient entraînés dans cette spirale de violence et de délinquance.