Interview participative de Cyril DION : Le pouvoir de l’engagement citoyen face aux défis climatiques

21/09/24, les fpnautes sont invités au festival So Good et rencontrent Cyril Dion. Auteur, réalisateur et fervent défenseur de l’environnement,  il nous livre son regard sur Marseille, une ville qu’il affectionne particulièrement pour sa dualité. Dans cette interview participative, il évoque l’importance de l’engagement individuel et collectif pour faire face aux enjeux climatiques. Il souligne la frustration ressentie par de nombreux militants face à l’inaction persistante et met en lumière les tensions politiques croissantes, tout en plaidant pour la création de communautés actives et un véritable changement sociétal.

1 – Une vision contrastée de Marseille et de la gestion des déchets

Comment décris-tu les contrastes de Marseille, entre son attrait naturel avec ses calanques et son ouverture sur la mer, et la tension générée par sa densité urbaine ? En quoi la gestion des déchets, un problème commun aux grandes villes méditerranéennes, illustre-t-elle cette dualité ? 

Cyril DION : Pour moi, c’est une ville qui a vraiment une sorte de double facette. C’est-à-dire que c’est à la fois extraordinaire d’être dans une ville qui est ouverte sur la mer comme ça, où il y a les calanques, où tu peux avoir cette relation à la nature aussi rapidement finalement. Et à la fois, c’est une ville extrêmement dense où tu te sens tout le temps un peu sur le qui-vive, parce que tu as peur qu’une voiture te passe dessus quand même, avec des trottoirs juste microscopiques, et tout le monde fait un peu ce qu’il veut ici. C’est un peu le principe. Et puis, il y a quelque chose de très frappant quand on vient de l’extérieur, c’est les ordures, les déchets. À chaque fois que je viens, je traverse des montagnes de déchets dans les rues. Ça me pose vraiment question. On sait que c’est un sujet du Sud, que ce soit en Italie, au Portugal, au Maghreb, ou encore au Liban.

Au Liban, des tonnes de déchets échoués après une tempête – Crédits : AP

J’ai vu des scènes incroyables au Liban, avec des gens qui, depuis des rochers au bord de la mer, jetaient leurs sacs poubelles directement dans l’eau. Waouh, ah ouais, quand même ! Donc, j’ai un peu l’impression de côtoyer le pire et le meilleur ici quand je viens.

2 – Marseille, un modèle pour l’avenir face aux enjeux climatiques

L’avenir de Marseille face aux enjeux climatiques. Et si cette ville devenait un laboratoire d’innovation ? Une cité capable de s’adapter aux changements environnementaux et sociaux, tout en valorisant sa richesse naturelle et humaine. Comment construire une ville du 21e siècle qui serait à la fois résiliente, inclusive et en harmonie avec la nature ?

Cyril DION : Il y a quand même une règle, c’est que normalement un Parisien ne donne pas de conseils à des Marseillais [Rires]. Donc, je fais attention ! Mais j’ai envie de leur dire : vous avez un endroit incroyable. Vous vivez dans un lieu qui pourrait devenir un laboratoire d’innovation exceptionnel. Marseille, c’est à la croisée des chemins, sur le pourtour méditerranéen, et elle sera l’une des villes qui va le plus souffrir du dérèglement climatique. Il est donc urgent d’inventer des solutions liées à l’eau, à l’agriculture et à la transformation urbaine pour adapter la ville à la chaleur et aux événements climatiques extrêmes.

C’est déjà un lieu de forte mixité, mais cela deviendra encore plus significatif avec les migrations liées au changement climatique. Les personnes vivant dans des régions devenant inhabitables chercheront des endroits plus cléments, et Marseille pourrait les accueillir. De plus, cette grande ville est en contact direct avec le monde sauvage grâce à son rapport avec l’océan et les paysages environnants. Il est fascinant de pouvoir se retrouver dans les calanques, dans des paysages magnifiques qui nous rappellent que nous faisons partie de quelque chose de plus vaste.

Crédits : BreakingTheWalls

Alors, comment construire une grande ville du 21e siècle ? Comment réintroduire d’autres formes de vie, végétales et animales, et favoriser les relations entre des personnes issues d’horizons très variés, y compris celles venant de Paris, qui font grimper les prix à Malmousque ? Il s’agit à la fois de créer quelque chose de nouveau et de s’adapter aux circonstances difficiles qui se profilent déjà

3 – Le pouvoir citoyen à Marseille : redonner la capacité de transformer la ville

Maintenant un aspect essentiel du changement : le pouvoir citoyen. Comment redonner aux habitants la capacité de transformer leur ville, de la protéger et de la réinventer ? Comment pouvons-nous encourager cet engagement collectif à Marseille, et plus largement ? Comment donner à chacun la responsabilité de façonner son environnement et créer une dynamique d’intelligence collective qui change réellement les choses ?

Cyril DION : C’est Baptiste Morizot (To Know the Land – Podcast épisode 188) qui souligne souvent l’importance de trouver un lieu où l’on se sent enraciné et de le défendre. Je pense que cela passe par là : redonner du pouvoir aux citoyens. J’en ai discuté avec des représentants de la mairie de Marseille, et je crois qu’il est crucial que chacun se sente responsable de l’endroit où il vit et sache qu’il a le pouvoir de le transformer. Quand on fait cela, on observe souvent des résultats extraordinaires.

Par exemple, j’étais à Lyon cette semaine, où ils ont organisé une convention citoyenne pour le climat impliquant les 9 000 agents de la ville. Cette initiative a permis de déterminer comment la ville pourrait transformer ses politiques pour devenir plus écologique. Chaque fois que l’on laisse les gens délibérer et leur donne le pouvoir d’agir, ils proposent des plans incroyablement ambitieux et complets. Je n’ai jamais rencontré de personnes fondamentalement de mauvaise volonté ; quand on leur donne le pouvoir de changer les choses, elles ne font généralement pas n’importe quoi, sauf peut-être dans le cas de quelques milliardaires. Mais pour la majorité des gens, c’est souvent le contraire : ils accomplissent des choses formidables.

Manuel de Transition – De la dépendance au pétrole à la résilience locale

Cela commence par la prise de conscience : ‘J’habite ici, dans ce quartier ou cet arrondissement de Marseille.‘ Ce que fait Rob Hopkins (fondateur du mouvement “villes en transition”, enseignant et l’auteur de plusieurs ouvrages) est intéressant, car il s’agit de rassembler le maximum d’habitants pour décider ensemble de la manière dont ils souhaitent transformer leur lieu de vie. La beauté des processus d’intelligence collective réside dans le fait que lorsque tu participes à l’élaboration d’un plan, tu es beaucoup plus motivé à le mettre en œuvre. C’est beaucoup plus engageant que si tu reçois un projet qui a été décidé sans toi. C’est bête, mais ça fonctionne.

 

4 – Les infrastructures urbaines face aux défis environnementaux

Comment une ville comme Marseille, mais aussi d’autres grandes villes à travers le monde, peuvent-elles surmonter ces défis ? Peut-on vraiment transformer nos modes de vie avec de simples améliorations structurelles comme des pistes cyclables ou des systèmes de gestion des déchets ? 

Cyril DION : Je pense que nous faisons face à une multitude de problèmes qui s’additionnent. Il y a la précarité, le crime organisé, et un manque d’organisation dans la capacité de la puissance publique à gérer les choses pour que chacun puisse accéder facilement aux services. Par exemple, en Inde, j’ai filmé dans des bidonvilles où les gens jettent tout dans la rivière. Quand on leur a demandé pourquoi, ils ont été surpris. Ils ont commencé à brûler les déchets, réalisant que c’était mal, mais sans solution, ils n’avaient pas de poubelles ni de circuit de ramassage. Si l’on combine la précarité, l’organisation défaillante et le crime organisé, cela crée un cercle vicieux.

Parfois, on sous-estime l’importance des infrastructures. À Paris, il y a eu une augmentation de 300 % du nombre de cyclistes simplement grâce à l’instauration de pistes cyclables sécurisées. Beaucoup de gens n’osaient pas faire de vélo à cause de la peur d’être écrasés. Les urbanistes te le diront : plus il y a de routes, plus il y a de voitures, et plus il y a de cyclistes lorsque des infrastructures sont mises en place. De même, plus il y a de poubelles, moins il y a de déchets dans les rues. San Francisco en est un exemple. Si les gens sont conscients de l’importance de l’infrastructure, ils peuvent réduire leurs déchets. Il ne s’agit pas seulement d’un choix, mais de mettre en place des systèmes qui facilitent la vie des citoyens. C’est un travail que la ville ou la métropole doit entreprendre, et cela ne peut qu’améliorer la situation.

5 – L’exemplarité et le pouvoir d’agir à notre échelle

Comment trouver un équilibre entre l’engagement de chacun et la force d’un mouvement collectif ? Peut-on vraiment transformer le monde, ou du moins, commencer par réparer notre ‘petit bout du monde’ et espérer que cela ait un impact global ?

Cyril DION : Comme le disait Gandhi, ‘montrer l’exemple n’est pas la meilleure façon de convaincre, c’est la seule.’ Je pense que les gens reprennent leur destin en main lorsqu’ils ont à la fois la liberté et les moyens de le faire, ce qui nous ramène à la question de la précarité. Il existe une tension entre le changement individuel et le changement collectif. Pour moi, ces deux dimensions sont complémentaires : il y a des gens qui changent parce que les structures sociales évoluent. Attendre que tout le monde prenne conscience de la situation avant de voir des changements dans la société est un peu idéaliste. Cependant, pour que ces structures changent, il faut une minorité active qui soit suffisamment mobilisée pour initier cette transformation culturelle.

Je ressens également cette solitude. J’ai envie de m’engager, mais je me sens parfois isolé. C’est pourquoi il est essentiel de disposer de modèles inspirants et de trouver des exemples de personnes qui agissent. Ces communautés, comme celles des Villes en Transition, montrent qu’il existe des personnes qui partagent nos préoccupations et qui réalisent des actions à notre portée.

Nous devons créer des communautés au sens positif du terme, où nous pouvons nous réapproprier notre espace de vie. Même si nous ne pouvons pas résoudre à nous seuls les problèmes du changement climatique ou de la biodiversité, nous avons la capacité d’agir sur notre petit bout du monde. Cela a un impact et apporte une forme de satisfaction. Néanmoins, il est crucial de s’inscrire dans des dynamiques collectives qui mobilisent des rapports de force. Même si nous transformons Marseille, le changement climatique continue d’avancer, et les grandes entreprises poursuivent leurs activités nuisibles. Il est donc impératif que nous unissions nos forces pour reprendre le pouvoir ensemble.

6 – La Frustration des militants

Malgré des décennies de mobilisation, les résultats ne semblent pas à la hauteur des attentes. Comment continuer à agir lorsque les conséquences du changement climatique se déroulent comme prévu, sans que les efforts individuels ou collectifs ne semblent suffire ? Pourquoi sommes-nous encore si peu nombreux à nous engager véritablement pour cette cause ? 

Cyril DION : Je ne peux pas y arriver tout seul, c’est complètement irréaliste. Je sais que j’ai beaucoup travaillé, réalisé un film, et pourtant, je vois que peu de gens nous suivent. Parfois, je suis un peu découragé, surtout après 20 ans à alerter sur ces enjeux. J’annonçais déjà en 2006 que cela allait se produire, et maintenant, c’est le cas. C’est déprimant de se dire que malgré tous mes efforts, rien n’a empêché cette situation.

Cependant, je me rends compte que mon travail a touché certaines personnes. Chaque jour, des gens me disent que mes livres ou mes films ont changé leur vie. Cela m’apporte de la satisfaction et me motive à continuer, même si, sur le long terme, cela semble insuffisant. Ce qui me frustre vraiment, c’est de voir combien nous sommes peu nombreux à agir.

Il y a tellement de personnes qui se disent écolos, mais qui votent ensuite pour des projets qui ne le sont pas vraiment. Où sont les millions de gens dans la rue pour exiger des mesures concrètes face à l’urgence climatique ? La plus grande marche pour le climat en France, en 2019, a rassemblé 300 000 personnes, dont 100 000 à Paris. En comparaison, lorsque la France a remporté la Coupe du Monde, un million et demi de personnes étaient dans la rue. Cela montre qu’il y a un véritable écart entre l’engagement que nous devrions avoir et la réalité de la mobilisation.

7 – Tensions politiques et sociales

Alors que les effets du changement climatique deviennent de plus en plus visibles, une autre menace se profile : celle des tensions politiques et sociales liées à la gestion des ressources et à la montée des températures. Un futur inquiétant, où les terres deviendront inhabitables et les conflits pour l’eau et les ressources naturelles s’intensifieront. Ce contexte global pourrait également alimenter un phénomène déjà en cours : la montée des régimes autoritaires, prêts à tout pour protéger leurs intérêts et maintenir leur pouvoir. Mais jusqu’à quel point nos démocraties peuvent-elles résister à cette pression ? Et à quoi devons-nous nous attendre si nous continuons sur cette trajectoire ?

Cyril DION : Il y a beaucoup de questions dans celle-ci. Je n’ai pas de boule de cristal, mais je peux dire que la trajectoire actuelle nous mène vers une augmentation de plus de 3 degrés d’ici la fin du siècle. Si nous atteignons ce niveau, environ la moitié des terres actuellement habitées par les humains deviendront inhabitées. Cela posera des problèmes majeurs.

Plus les tensions augmenteront, plus les risques de conflits armés pour l’eau et les ressources naturelles se multiplieront. Nous pourrions assister à des mouvements massifs de populations. En parallèle, nous constatons une crispation croissante. À mesure que des voix s’élèvent pour dénoncer la situation et appeler à des mesures drastiques pour préserver notre planète, ceux qui souhaitent protéger leurs intérêts réagissent en utilisant leur argent, leur influence politique, voire leur force militaire ou policière pour réprimer ces appels.

On observe une tendance à l’autoritarisme, particulièrement manifeste en France en ce moment à cause des élections, mais également aux États-Unis avec Trump, au Brésil, en Argentine, en Hongrie, en Israël, et en Russie. Cette dynamique s’inscrit dans un contexte où les dirigeants, comme le président Macron, semblent indifférents à l’opinion populaire, tant qu’ils continuent à gagner des élections. La qualité démocratique d’un pays se mesure lorsque le leader, après avoir perdu une élection, montre qu’il ne se soucie plus du tout du processus électoral.

Propos recueillis par Audrey, Cyril, Célia et Florence.
Merci à Laurence du Festival So Good et aux équipes organisatrices.

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