Le 1er mai de l’extrême droite : qui remplacera Jeanne d’Arc ?

L’extrême droite utilise le 1er mai comme une date de reconquête symbolique : elle détourne la fête des travailleurs, célèbre Jeanne d’Arc, crée un événement distinctif et renverse les codes idéologiques en jouant sur le registre du nationalisme populaire. À deux ans de l’élection présidentielle, cette journée reste plus que jamais un temps fort stratégique pour l’extrême droite, vitrine de ses ambitions et laboratoire de son storytelling : se préparer à la victoire de leur “Jeanne d’Arc”.

Evolutions du symbole

Jeanne d’Arc est passe d’une sainte monarchiste à une icône nationaliste, puis à une héroïne républicaine de droite. Son image s’est adaptée aux besoins narratifs des courants politiques qui l’ont récupérée — Du monarchisme à l’héroïsme républicain. Qu’elle prenne les habits d’une femme ou d’un influenceur, la figure héroïque reste rentable. Entre mythe et marketing, la frontière n’existe plus. La marque est culte et le 1er mai est une tête de gondole du marketing nationaliste. La marque a évolué avec le temps et ce fameux 1er mai 2015 : quand Jean-Marie Le Pen s’écrie “Jeanne au secours !”,  une formule à la fois dramatique, symbolique et politique.

À cette époque, Jean-Marie Le Pen est déjà en conflit très avancé avec sa fille Marine, qui a annoncé vouloir l’écarter après ses propos polémiques tenus en avril et a décidé de ne pas faire défiler Jean-Marie avec les cadres du parti, le reléguant symboliquement.

Fidèle à son style théâtral et provocateur, il prend alors la parole en marge de l’événement officiel, au pied de la statue de Jeanne d’Arc, et lance ce cri solennel et dramatique : « Jeanne au secours ! » Ce cri marque une rupture historique entre le père fondateur du FN et la ligne plus “dédiabolisée” voulue par sa fille.

L’évolution de Jeanne d’Arc comme symbole politique à l’extrême droite française est un excellent prisme pour comprendre les stratégies idéologiques du Front national (devenu RN) et plus largement des droites radicales en France.

  • Figure catholique et monarchiste : D’abord figure catholique et monarchiste, Jeanne devient au XIXe siècle un symbole national après sa réhabilitation par l’Église (canonisation en 1920) et l’intérêt qu’elle suscite chez les républicains et royalistes. Elle représente à la fois : le patriotisme pur, populaire, la défense du sol français contre l’étranger (l’Anglais, au départ) et une femme de foi guidée par Dieu, donc instrumentalisable à droite comme à gauche.
  • Sainte nationale et royaliste : Action française (Maurras) : Jeanne est célébrée comme sainte nationale et royaliste, symbole de l’ordre contre la République.
    Sous Vichy, elle est aussi utilisée par le régime de Pétain, comme modèle de la “France éternelle” et rurale.
  • Figure tutélaire du RN : Dès les années 1980, Jean-Marie Le Pen fait de Jeanne d’Arc la figure tutélaire du FN : Il organise chaque 1er mai une cérémonie place des Pyramides (devant la statue de Jeanne), mêlant hommage politique, défilé militant et discours de tribune. Jeanne incarne pour lui une France blanche, catholique, enracinée et combative, à l’opposé de la République multiculturelle. Le Pen insiste sur le peuple trahi par les élites, comme Jeanne fut trahie par les puissants.
  • Symbole de la dédiabolisation : Marine garde l’hommage à Jeanne d’Arc mais en adoucie le sens : Elle en fait une figure laïque et républicaine, symbole du patriotisme anti-européen et populaire. Jeanne devient chez elle une sorte de Marianne, féminine et courageuse, moins religieuse, plus “moderne”. En 2015, sa rupture avec son père culmine lors de la séparation physique dans le défilé du 1er mai. Jean-Marie lance alors son fameux « Jeanne au secours ! » — un appel à l’ancienne Jeanne, celle du FN originel.

La conquête du “peuple” par l’identité

L’extrême droite française n’a jamais laissé le monopole du 1er mai à la gauche. En s’ancrant dans le calendrier des luttes sociales, tout en le tordant à ses fins, elle a bâti un rituel politique puissant, enraciné dans un imaginaire nationaliste et victimaire. Jeanne d’Arc, brandie face aux banderoles syndicales, incarne ainsi une France mythifiée, qui continue de séduire une partie du pays réel.

  • Un détournement calculé de la fête des travailleurs : Le 1er mai est historiquement la journée de lutte ouvrière, née du mouvement international pour la journée de huit heures. Quand Jean-Marie Le Pen choisit cette date dès 1988, c’est pour y organiser un défilé “patriotique”, à contre-courant des syndicats et de la gauche. Objectif : contester leur monopole sur la figure du “travailleur”, en valorisant le « petit Français oublié », contre les « élites mondialisées ». Puis le FN s’appuie sur une autre tradition du 1er mai : la fête nationale de Jeanne d’Arc, instaurée en 1920 par la IIIe République pour réconcilier catholiques et patriotes. Jeanne devient l’icône d’un peuple trahi, une sainte laïque et guerrière, utilisée pour mobiliser l’électorat catholique, identitaire ou nationaliste.
  • Un moment de réappropriation nationaliste : Il ne s’agit pas d’exister en marge des cortèges syndicaux mais de s’y opposer frontalement. Cette stratégie vise à reconfigurer le clivage gauche/droite autour du peuple/nation contre élites/globalisation. Le RN ne parle pas de lutte des classes, mais de “préférence nationale”, de frontières, de sécurité. Le 1er mai devient une tribune pour dénoncer “le mondialisme”, l’immigration, Bruxelles, les syndicats “complices”, et réhabiliter le travail comme valeur d’enracinement.

Jeanne d’Arc comme héritage de sang

Si le Rassemblement national tente de lisser son image autour de la « fête de la nation », l’esprit fondateur insufflé par Jean-Marie Le Pen survit ailleurs, intact — notamment dans les discours de Marion Maréchal. La nièce de Marine Le Pen continue d’exploiter avec ferveur le mythe johannique hérité de son grand-père. Le 1er mai 2025, elle diffuser sur 𝕏 :

Un message codé, adressé à la fois à la droite conservatrice, aux catholiques inquiets et à ceux qui rêvent encore d’une “France charnelle”. Pour Marion Maréchal comme pour Jean-Marie Le Pen avant elle, Jeanne d’Arc n’est pas seulement un symbole : c’est un modèle de combat, de pureté et de sacrifice, une figure de légitimité historique face à ce qu’ils considèrent comme la décadence des élites républicaines.

Dans cette perspective, 2027 n’est pas une élection comme les autres, mais l’horizon d’une possible prise de pouvoir — l’accomplissement du projet familial. Tandis que Marine Le Pen met en scène sa respectabilité institutionnelle, Marion Maréchal ravive l’orthodoxie du Front originel, attachée aux racines chrétiennes, à l’ordre naturel et à l’identité française. Deux stratégies, un même socle idéologique.

Ainsi, Marion Maréchal occupe une place singulière : héritière d’une tradition d’extrême droite historique, alliée de la nouvelle garde RN emmenée par Marine et Bardella, et passerelle vers l’électorat conservateur classique. Son influence idéologique se fait sentir dans le débat : par exemple, sa notion d’« union des droites » – longtemps un tabou – s’impose désormais comme une option discutée ouvertement à l’extrême droite.

Une influence idéologique assumée

Bien qu’elle se place en soutien de Marine Le Pen pour 2027, Marion Maréchal cherche à imprimer sa marque idéologique propre au sein de l’extrême droite. Elle se réclame d’une « droite civilisationnelle », qu’elle définit comme « anti-woke, anti-assistanat et anti-racket fiscal », rompant avec le « socialisme mental » qui imprègne selon elle les politiques publiques françaises. Cette formule traduit son positionnement très conservateur sur les sujets sociétaux et identitaires, couplé à un libéralisme économique affirmé. Marion Maréchal insiste sur l’“héritage chrétien” de la France, la lutte contre “l’islamisation”, la défense de la « liberté scolaire » et de la liberté d’expression. Autant de thèmes qui la distinguent quelque peu de Marine Le Pen, laquelle a recentré le RN sur des positions plus étatiques en économie et plus laïques en matière religieuse. Maréchal, elle, s’adresse volontiers à un public traditionnel catholique et en cela, son discours s’apparente à celui d’Éric Zemmour sur de nombreux points, si ce n’est que Maréchal évite désormais les outrances ou provocations qui ont pu coûter cher à Zemmour.

À l’approche du scrutin présidentiel, la bataille symbolique autour de Jeanne d’Arc reflète donc une tension plus large au sein de l’extrême droite : entre adaptation électorale et fidélité aux origines. Et dans ce combat culturel, le 1er mai reste une scène centrale — une date à haute portée affective, où se rejoue chaque année la vieille guerre des récits.

Sans spéculer gratuitement, on peut noter que Marion s’est mise en position d’être une actrice de premier plan des prochaines échéances – si ce n’est en 2027, peut-être en 2032. D’ici là, chaque étape de son parcours sera scrutée de près, tant par ses alliés du RN que par ses concurrents à droite. Les choix qu’elle fait aujourd’hui dessinent en creux le chemin d’une femme politique qui se prépare, patiemment mais résolument, à de plus hautes destinées. Le rêve de Jean-Marie Le Pen pourrait bien s’incarner, enfin, sous les traits d’une Jeanne d’Arc contemporaine, délivrant la France de ce que sa nièce  appelle sans détour « le grand remplacement ».

Du culte à la campagne : l’extrême droite en procession

Cette année, le Rassemblement national a choisi Narbonne (Aude) comme décor. Une terre électorale conquise, où l’installation durable de l’extrême droite n’est plus à prouver. Mais en face, la riposte s’organise : une quarantaine d’organisations citoyennes et politiques ont prévu un contre-rassemblement, sous la forme d’un « village antifasciste », pour rappeler que la gauche n’a pas déserté les lieux — ni le terrain des idées.

Rebaptisée « fête de la nation », la cérémonie se veut aujourd’hui plus rassembleuse, teintée d’un discours de « paix sociale » qui peine à masquer l’ADN du parti.

À deux ans de l’élection présidentielle, le RN affine sa stratégie. Ce 1er mai devait être le point de départ visible de la campagne municipale de 2026 — ou plutôt la poursuite de la « campagne permanente » engagée après les législatives anticipées manquées de l’an dernier. Le rendez-vous devait aussi incarner l’ambition d’un duo exécutif déjà prêt à l’emploi : Marine Le Pen à l’Élysée, Jordan Bardella à Matignon. Une architecture momentanément fragilisée par des enquêtes judiciaires (décision politique selon eux) qui viennent troubler la mise en scène.

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